Publié le 08 Octobre 2020
Cet article est une transcription issue de la conférence Surface patrimoniale, le mur inox poli-miroir de l’hôtel Fouquet’s, donnée par Julien PAULRÉ, le 22 Janvier 2020, à la Maison de l’Architecture.
Comment et pourquoi proposer un projet d’Architecture sans aucune épaisseur, qui n’a pour fonction que celle d’agir sur un lieu ? Comment et pourquoi chercher à disparaître quand on est Architecte ? Comment et pourquoi proposer quelque chose d’invisible ?
Espace / Représentation
Quelques références pour commencer qui nous intéressent à l’agence pour aborder des idées que nous utilisons dans nos projets :
Nous apprécions beaucoup ce dessin de De Hondt1Éditeur et graveur de l’âge d’or hollandais., qui date du début du 17ème siècle.
C’est une très belle perspective pleine de mystère et si on sort de l’idée que techniquement, ce dessin semble représenter de manière vraisemblable un espace, il est assez fascinant parce qu’il raconte justement quelque chose d’autre ; on sent une épaisseur dans ce dessin qui raconte plus que ce qui est représenté.
De ce simple point de départ, nous pouvons formuler une observation en forme de comparaison : la perspective au service de l’architecture contemporaine semble aujourd’hui n’être utilisée « que » comme un outil de représentation ; nous sommes souvent dans l’idée d’une prestation technique (la « pers »), parfaitement maîtrisée (sous-traitée d’ailleurs par un spécialiste) qui évacue souvent totalement le mystère dont nous parlions auparavant.
Ces « pers » font exister sous nos yeux quelque chose de très réaliste, de très crédible, et nous atteignons d’ailleurs parfois quelque chose de troublant (réintroduisant alors la part de mystère perdue ? ), puisqu’on ne sait plus discriminer une image d’une photographie.
Perspective
Autre exemple : cette petite galerie du Palais Spada de Borromini, qui illustre bien l’idée que le mystère était central dans le rapport entre espace et représentation, en particulier dans l’architecture baroque.
Cette manière d’appréhender, de penser et de jouer avec la perspective créait la possibilité d’existence de ce qu’on pourrait appeler des recoins de la pensée, en parallèle de « la » réalité vécue. Cette galerie est extraordinaire : Borromini est allé jusqu’à incliner le plancher, le plafond, raccourcir les colonnes et placer une minuscule statue au bout de cette perspective accélérée, pour créer un effet de réel dans le réel.
Il y a une complexité ici qui nous semble très riche.
Plis
Un autre exemple : Les Ménines, qui ne nous intéresse pas directement pour la perspective, cette fois, mais pour la mise en scène et la narration que ce tableau fabrique, totalement repliées plusieurs fois sur elles-mêmes. Le mystère y est tout en diversions intriquées, en superposition de codes, de signes et de subterfuges, qui nous renvoient autant à une mise en abîme spatiale qu’intellectuelle.
Dévoilement
Plus proche de nous, l’Empaquetage du Pont Neuf qui nous touche parce que tout à coup, l’objet pont est totalement sorti de sa réalité, simplement par le fait d’être emballé. Ce dispositif temporaire dévoile paradoxalement l’objet et fait en quelque sorte bégayer le réel.
Reflets
Bien connus aussi, et entre autres exemples, l’Autoportrait dans une miroir Convexe de Parmigianino (vers 1524), l’Autoportrait au miroir sphérique d’Escher (1935), les cubes Sans titre (Mirrored Cubes) réalisés en 1964 par Robert Morris, ou encore Cloud Gate de Anish Kapoor à Chicago, en 2006.
Dans cette œuvre, le ciel est littéralement amené à terre. C’est comme un trou dans l’espace, comme si l’objet n’existait pas. Ce qui nous intéresse ici est la grande efficacité et la simplicité formelle des dispositifs, avec la participation du spectateur à ceux-ci.
Cinéma
Nous apprécions aussi certaines situations mises en scène dans des films : Taxi Driver de Martin Scorsese en 1976, avec la scène mythique du miroir, et sa citation par Mathieu Kassovitz en 1995 dans La Haine où, là encore, la simplicité radicale génère une efficacité maximale.
Enfin, très proche de nous, Inception de Christopher Nolan en 2010, où le miroir renvoie à l’infini, à la vanité et à une forme d’inquiétante étrangeté qui nous aspire.
Cour
Quand on s’est demandé comment intervenir dans l’arrière cour du Fouquet’s (intervention représentant une partie seulement de notre projet), nous avons été confrontés à plusieurs problèmes et questions.
C’était vraiment une arrière-cour sans qualités, avec beaucoup d’ajouts successifs de réseaux nécessaires à la brasserie et aux bureaux qui occupaient les étages supérieurs.
Mur renard
La découverte qui nous a guidés est le vestige dans cette cour de ce qu’on appelle un « mur renard », (comme un mur « rusé »), mimant un mur percé de baies.
On en trouve un par exemple à l’hôtel de Sully où les baies sont pleines, ou encore au musée de l’histoire du judaïsme où le mur ne fait que 80 cm d’épaisseur, en miroir du mur qui lui fait face, et qui est traité par de fausses baies vitrées pour aller jusqu’au bout de l’effet de symétrie. Nous nous sommes donc emparés de cette idée dans la cour du Fouquet’s.
Contraintes
De fortes contraintes (Protection Ville de Paris), nous ont vite fait comprendre que nous ne pourrions pas faire grand-chose. Nous avons quand même travaillé sur de nombreuses hypothèses, toutes autour de l’idée de la préservation et de la mise en valeur de cet ensemble par des intervention contemporaines autour de la lumière et de la transparence.
Intervention
Par exemple, pour la partie du projet donnant sur les Champs-Élysées, cet écrin de verre en proue du bâtiment qui était totalement réversible parce qu’on pouvait le déposer. L’idée, c’était d’avoir cette vue magnifique sur l’arc de triomphe.
À ce stade, nous avions eu maintes réunions avec la commission du Vieux Paris et l’Architecte des bâtiments de France.
La conclusion à chaque fois, était qu’on ne voulait pas voir notre intervention.
Disparition
S’est donc imposée à nous l’idée de totalement disparaître. On voulait sincèrement depuis le début mettre en valeur plutôt qu’être en valeur.
Ce qui nous restait à ce stade comme ingrédients :
- une discrétion absolue, voire une disparition du projet,
- une nécessité de créer un recul de manière artificielle,
- une actualisation du mur renard comme figure historique,
- une restauration / valorisation de l’existant,
- une utilisation de la façade comme surface d’intervention.
Comment disparaître tout en créant une mise en scène et une scénarisation de l’espace, en partageant cette épaisseur historique ?
C’est à cette question que nous avons tenté de répondre avec notre proposition de mur miroir.
Image
Pour vendre notre idée (parce qu’il a fallu quand même retourner voir tout le monde), nous avons réalisé cette image de simulation.
Les interlocuteurs ne la comprenaient pas du tout. Ils étaient totalement troublés durant quelques secondes. Cette image donnait l’impression qu’il n’y avait pas de projet, qu’il n’y avait rien à voir. Le regard ne savait pas s’accrocher sur quelqu’éléments que ce soit. On est loin des représentations graphiques habituelles.
Ce trouble nous a totalement confortés dans le fait que notre intuition était la bonne. Les interlocuteurs se mettaient à observer le bâtiment existant haussmannien dans le reflet qui est faux puisque virtuel, plus que sur les photos qu’on avait présentées avant.
C’était le révélateur qu’on avait trouvé la réponse et en plus d’être une surface réfléchissante all over, elle serait également un écran puisqu’elle met en scène depuis la cour les parties communes. Depuis la suite Harcourt ça a permis d’étendre le ciel ; également de mettre en scène le moindre mouvement des circulations.
Expérience
Cela met en scène l’espace de jour comme de nuit, et le vide mis en scène prend une épaisseur vraiment intéressante.
C’est une expérience très troublante quand on est sur place : celle de la dualité que seul le miroir permet, entre soi et son double, entre l’Haussmannien et son image.
C’est une architecture qui suscite et sollicite, génère un événement.
C’est de l’interactivité sans technologie.
C’est du temps réel, sans électronique, sans numérique.
C’est un temps réel archaïque retrouvé.
Le miroir nous a permis à la manière d’Anish Kapoor avec son Cloud Gate de ramener de façon très simple le ciel dans la cour, en assurant sa continuité. C’est une sensation très forte qui n’est pas anodine. Voir le ciel ou même plutôt le sentir, c’est quelque chose qu’on peut ressentir dans des contextes balnéaires, montagnards ou encore ruraux. Ce n’est pas habituel dans les tissus denses comme ceux de Paris. L’impact de cette intervention sur la qualité lumineuse de la cour est très important, et c’est vraiment ce que nous souhaitions obtenir dans cette cour : une pure expérience physique, toujours en mouvement. Les moindres variations du ciel, de la journée et du temps sont totalement magnifiées par notre mur miroir.
Surface patrimoniale, le mur inox poli-miroir de l’hôtel Fouquet’s,
Julien PAULRÉ, le 22 Janvier 2020, à la Maison de l’Architecture.
- 1Éditeur et graveur de l’âge d’or hollandais.